Introduction
Deux pensées principales s’opposent sur la vision de l’entreprise et de ses parties prenantes. Dans un courant de type contractualiste, le cœur de l’entreprise est constitué par les apporteurs de capitaux. L’objectif premier est de maximiser les profits, ce qui répond à l’attente des actionnaires (Friedman, 1970). Dans cette vision externe de l’entreprise, la performance repose sur la rémunération des actionnaires. Devant la prise en compte de façon de plus en plus importante des notions de développement durable et de responsabilité sociale, la théorie classique de la performance, basée sur une logique actionnariale, montre ses limites. Il devient nécessaire d’aborder l’entreprise sous un angle plus large que celui des actionnaires, comme le précisait déjà Ford en 1920 : « L’entreprise doit faire des profits sinon elle mourra. Mais si l’on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit alors elle mourra aussi car elle n’aura plus de raison d’être ».
La théorie des parties prenantes semble combler ces limites sur ce point. Elle privilégie une vision plus élargie des intérêts que l’entreprise doit satisfaire dans son activité. Dans cette optique, la performance n’est plus seulement basée sur une vision externe en tant que satisfaction des actionnaires mais repose également sur la satisfaction en interne des acteurs directs de l’entreprise. On peut dire que cela revient à s’appuyer sur ce qui se passe en interne (les parties prenantes) pour satisfaire l’externe (les actionnaires). On peut cependant nuancer la théorie des parties prenantes en se référant à Boatright (1999) pour qui la satisfaction des parties prenantes (clients, salariés, etc.) n’est pas réellement un objectif mais plutôt une contrainte, le but réel n’étant que de satisfaire les actionnaires à travers la maximisation du profit. On s’intéresserait alors à la satisfaction des stakeholders de l’entreprise uniquement car ils permettraient in fine de mieux satisfaire les shareholders en leur offrant une rémunération par les dividendes plus importante.
Même si la notion de responsabilité sociale demeure une préoccupation majeure, les dirigeants doivent, dans le contexte actuel et face à la contrainte de rentabilité à laquelle ils sont confrontés, s’engager dans un véritable pilotage de leur entreprise d’où la place primordiale allouée au contrôle de gestion. Le travail de recherche présenté dans cette thèse s’intéresse au processus d’implémentation du contrôle de gestion dans des entreprises qui en étaient jusqu’alors dépourvues. Dans un premier temps, des mécanismes agissent soit au niveau comportemental soit au niveau cognitif pour réguler le fonctionnement de l’entreprise. La coordination des comportements repose à l’origine principalement sur un management de type clanique, où par socialisation, on aligne les intérêts des individus avec ceux de l’organisation (Langevin et Naro, 2003) ou combiné avec une supervision panoptique (Bentham, 1787, 1791 a et b) dans lequel les salariés ont toujours l’impression d’être surveillés et orientent donc leur comportement dans la direction attendue.
C’est notamment le cas dans les structures simples fondées sur la confiance et le contrôle direct. Sous un angle cognitif, les conventions sont également la réponse au besoin de coordination dans une entreprise au fonctionnement informel, puisque les individus se réfèrent à la convention en place pour orienter leurs comportements. Toutefois, certains évènements intervenant en interne, au sein de l’entreprise (croissance, remplacement des dirigeants, etc.) ou des facteurs externes (contraintes réglementaires, intensité concurrentielle par exemple) mettent à jour les limites d’une telle organisation à la régulation largement informelle. On va alors devoir formaliser le fonctionnement de l’entreprise et développer l’instrumentation par la mise en place de dispositifs de gestion. En effet, avant de connaître un fonctionnement stabilisé, les entreprises passent par des modifications majeures dans leur gestion interne.
Une des étapes clés dans leur développement est le processus au cours duquel elles abandonnent leur fonctionnement basé sur des leviers informels de contrôle organisationnel au profit d’un système formel de contrôle de gestion reposant sur un système de pilotage global et cohérent. C’est cette formalisation du fonctionnement de l’entreprise et son instrumentation que nous allons étudier, en analysant le processus d’implémentation du contrôle de gestion. L’instrumentation de la gestion est au cœur de notre étude et nous étudierons, parmi les différents types de contrôle de gestion, celui pour lequel opter (contrôle interactif ou diagnostic). Les approches purement techniques, instrumentales et rationnelles qui décrivent l’entreprise de façon mécanique, négligeant le rôle des salariés sont laissées de côté. Nous allons voir quel est l’impact sur les acteurs internes de l’introduction d’un système de contrôle formel dans une organisation : la dimension humaine du contrôle de gestion et plus particulièrement les phénomènes d’appropriation des outils et d’acculturation sont au cœur de notre recherche. L’introduction de dispositifs de gestion a des conséquences majeures sur les attitudes des acteurs de l’entreprise, tant pour les dirigeants que pour les salariés et la modification du fonctionnement de l’entreprise va entraîner des phénomènes de résistance au changement ou d’adhésion dont il faut tenir compte car ils conditionnent la réussite de la démarche.
Author: Nizeyimana Jean Baptiste, Bariyene Dakonyeme
© 2021 The Author(s). Published in RUFSO Journal Article,Volume 28